Un matin dans la glace

Lenoir s'était couché tard, comme il se le permet souvent les vendredis. Les diapositives aveint passé la nuit éparses sur la table. Il s'était couché presque sans s'en apercevoir, sans ses rituels du soir, libre, plongé dans des tapisseries de lumière, et le projecteur éteint, il n'avait rien touhé de la pénombre. Dans la glace, ses cheveux éparses et gris, ses rides, n'empêchaient un regard perçant, qui avait gardé en lui des contemplations de lumière.

Il allait saisir rasoir et quelque chose suspendit son geste, le détachant de la mécanique habituelle, subtilement intrigué par la mécanique à l'oeuvre. Il regarda son bras figé dans un élan, et de l'autre côté le même bras, la main disparaissant sous la glace. Il garda les yeux fixés sur ce bras et ce fut assez subtilement que quelquechose se produisit. Il saisit son rasoir , appliqua la mousse à rasée et comme à son habitude il se rasa, mais tout particulièrement intéressé aux gestes du reflet, leur harmonie naturelle, et pourtant il n'aurait su véritablement kes guider, dans leur gauchesse. Par moments il hésitait ne sachant de quel côté il se dirigeait, puis il n'y pensait plus,il n'y pensa plus du tout même, et l'oeuvre accomplie, il prit sa douche et son petit déjeuner. Revenant se brosser les dents et se coiffer il n'y pensait plus le moins du monde, les volets ouverts ces subtiles brumes de rêves évaporées, tout habillé, sa veste boutonnée, il revint ajuster une dernière fois sa coupe avant de sortir, à ce beau matin d'avril.C'est quand il tendit la main vers la poignée de la porte qu'il fut arrêté à nouveau, comme si un son bref et grave avait retenti. Nul reflet sur cette façade qui le précédait, s'apprêtant à s'ouvrir selon sa volonté, le conduisant à l'aventure du monde. Dans cette trivialité quoitidienne il voyait ce matin quelque chosed 'autre qui le lancinait, tel une mélodie soufflée éparse dans le vent. Aussi qu'elle fut, dans de si petits détails de ce bras se tendant à la suite, ou avant la main, il savait qu'une fois franchi le seuil, il n'en resterait rien.

Il resta un instant e bras tendu, songea que nul ne pouvait le voir, qu'il n'était là question que de lui. Mais que pouvait-il y pressentir ce matin là ? A nouveau, cette fois plus longtemps que devant la glace, plus hésitant devant la porte, qui signerait l'oubli, l'inobédience, à balayer cette petite gêne comme soufflant sur la poussière, les yeux brièvement clos. Il alla à la fenêtre, voir au dehors la place Voltaire qui s'animait, il fit quelques pas et hôta sa veste. Il alla à la cuisine boire un peu d'eau, mais il ne sentait pas mal, ce n'était pas une quelconque angoisse, tout était bien en lui à sa simple place, en ce matin même plutôt léger et d'entrain. Mais au dehors il perdait, il le savait, ce germe de sens qui lui était venu en deux fois, dans un bras qui s'élance.

Il s'assit sur le bord du lit, vas à la fenêtre ouverte, et senta l'air sur son visage, il ferma les yeux. Sans plus regarder au dehors il s'allongea, reposant comme il ne l'avait jamais fait, ci cimplement, si absurdément, si inutilement allongé à nouveau, bien habillé sur son lit bien bordé, à la pleine lumière, confortablement allongé les mains croisées derrière sa tête sur les oreillers. Libre de tout vouloir, il reprit la scène, comme si les deux à la fois il tendait le bras vers la poignée et vers son rasoir. Un geste menant à l'ouverture et le départ, l'autre vers son reflet, simplement utile à se raser, chaque geste si simple dans son quotidien, dans son besoin, qu'ils n'exitaient pas. Il manquait quelque chose au bras vers la poignée, d'évidence c'était le jeu de reflet dans la glace. Il comprit peu à peu ce qui l'avit troblé, nécessairement il le comprit, c'était le reflet, le geste du reflet qui était tantôt naturel et tantôt gauche selon qu'il souhaitait et pensait l'agir du naturel ou de la maîtrise de ce reflet qui n'en faisait qu'à sa tête. Il s'éiat bien sûr, enfant, amusé ainsi devant la glace, il s'étai demandé où allait tout cet espace, dans l'envers. Il avait même eu l'impression d'être un petit peu plus curieux que les autres de ce mystère, il n'avait bien su dire. Il ne devait pas y avoir en fait grand chose d'intéressant, en tout cas ni les grandes personnes ni les enfants ne semblaient y prêter le même intérêt que lui.

Il s'était couché tard et le sommeil revint, amenant avec lui de l'ambiance de la veille et peut-être même de rêves qu'il avait eu. Il fut ainsi, proche de s'endormir à nouveau, s'éveillant à ses pensées, comme au momentd e s'endormir, l'on ne sait plus tut à fait à quoi l'on pensait, juste là, à l'instant, mais qu'une idée avait mené à cette idée présente. C'est là que cela se produisit. Jusque tard hier il avait regardé ses diapositives des tapisseries du musée de Cluny, les unes après les autres, les six tapisseries de La Dame à la Licorne, précieusement disposées sur les tables, elles qui avaient reposé des années et des années, bien rangées dans leur jolie boîte blanche, de la boutique des souvenirs. Il les avait regardées les unes après les autres, jusqu'à cette diapositive qu'il avait regardée plus longuement, jusqu'à la fin, un agrandissement de la scène centrale de la tapisserie de la vue : la dame présente à la licorne un miroir. Hier soir, dans son fauteuil, alors sur le seuil de s'endormir, comme il l'était à nouveau. Il avait songé à la licorne spirituelle qui se découvrait, affirmation de la spiritualité, se voyant en face et non par la lisière, saisissable et tangible, face à face de l'âme. Il avait gardé cette pensée chérie en son coeur, ne cédant pas aux rituels du coucher, il l'avait amenée jusqu'ici dans son lit, et l'avait conduite dans son rêve.

Il y avait à présent en lui, tout un "oui mais", ambiancé de ce bras tendu vers la glace, il se réveilla un peu, rouvrant presque les yeux sur le jour dans la chambre. Oui mais lorsque je vois un visage dans le miroir, que ce visage n'est pas le mien, il me regarde en retour et me sourit, même si ce b'est pas moi. Celui que je vois dans le relfet, comme moi il me voit. Il s'en était beaucoup amusé enfant, jouant avec ses soeurs, ses parents, il l'avait ensegné à ses amis ce petit mystère, il s'en était plus d'une fois assuré. C'était de ces petites lois que l'on ne lui avait enseigné nul part et qu'il avait glané de ses petites expériences, avec cela les ombres dont il avait compris qu'elles n'avaient rien de subjectifs, bien dessinées et immaubles, d'où qu'il les voit. Oui mais s'il voit le reflet de la licorne, c'est que le miroir est incliné, si lui voit le reflet de la licorne c'est que la licorne le voit, que tous deux se regardent. Il s'imagina alors, tel son reflet gauche dans la glace, la licorne pencher la tête avec lui, acompagnée de sa haute corne, ouvrir et fermer les yeux et après un temps de stupeur, lui sourire. Comme il fut tout à l'heure dans une habitude usuelle, il était, au seuil du rêve, bien accueilli par la licorne, elle le suivait et aisément peu à peu, autour de lui il voyait le mille fleur et les lapins, derrière le miroir le lion assis, dans le ciel nul oiseau, alentour quelques arbres, et la dame. Haute en sa magesté, la pierre rouge à son cou, la dame. Elle était vue d'ici, la même que depuis l'autre côté, tenant le miroir. Il ne se regardait plus dans le miroir, il était alors pleinement licorne, et avec la dame ils se regardèrent. Embrasant tout son être, il se perçut élevé, il se comprit licorne, tous ces sylboles contraires et disaparates projetés dans l'animal blanc de mystère, avaient à cet instant la tension emplissant un corps et ce corps il l'habitait, il sy mouvait et ressentait dans l'espace autour de lui il projetait son regard, sa volonté était belle, elle était la dame, dans l'union de ce regard il était en élévation sereine, allant esemble à l'essence légère de l'indicible, en rayonnements de rayonnements, guidé par la magesté, par l'altesse.

Subitement il s'aperçut de sa plongée, brisant le rêve. A nouveau presque il ouvrit les yeux sur la chambre ensoleillée, mais il sut rester dans l'obscurité dans la chambre des r^ves. Quel fabuleux voyage il venait de faire ! Remonté dans la licorne, partageant le regard de la dame. Il avait ressenti surtout que sa volonté, comme elle avait habité les gestes contraires de son reflet dans la glace, avait habité tous les contraires des symboles de la licorne. C'est se les énumérant, lus et notés dans ses carnets soir après soir, relevés et répétés, ces symboles en la licorne : il se les énuméra et ce fut comme compter les moutons, comme compter les lapins des tapisseries, en se les récitant ce fut comme incanter un nouvel agencement en la licorne.